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mardi, 09 décembre 2008

Le fabuleux goûter de Germaine Moulin, suite et fin.

classe d'antan.jpgBon où en étions-nous Germaine et moi ? Ah oui, sous le platane, elle, mordant dans sa tartine, son mouchoir couvert de miettes sur les genoux, et moi, pérorant, heureuse d’avoir un auditoire pour moi toute seule. C’est qu’elle était aussi heureuse Germaine, heureuse d’avoir une amie, heureuse de partager des mots, des histoires. Quand elle m’a proposé de mordre dans son goûter, je n’ai pas osé, pas pu. Le remord me serrait la gorge à m’en tordre les boyaux. Et puis, comme je vous l’ai déjà dit, moi, la confiture de fraise et le pain de campagne avec des gros trous… Je sentais bien aussi les flèches décochées dans mon dos par le noyau dur du groupe de Florence, j’en ruisselais de sueurs froides. « Ça pique ! » que je me suis écriée, Germaine m’a regardée d’un air interrogateur. J’’ai bafouillé une histoire de fourmis me trottant dans les jambes alors qu’en fait elles m’avaient déjà envahi le cœur. Puis la cloche a sonné. Je me suis mise en rang avec Germaine, sous les regards haineux mais silencieux de tout mon groupe d’amies affamées. J’avais trahi. Et par deux fois ! Judas vivant aurait pu venir pour prendre une leçon. De retour en classe, je levais la main pour demander d’aller aux toilettes. « Trop tard » m’a dit la maîtresse, « tu n’avais qu’à y aller pendant la récré ». Alors j’ai dû lutter avec mes bruits de boyaux pendant tout le cours de calcul. Et l’on voudrait que je sois bonne en maths ! À la sortie des classes, Florence m’a attrapée par le bras pour me demander des comptes. Ses amies en demi-cercle autour de moi attendaient aussi l’explication de cette trahison manifeste. J’eus donc droit à un procès en règle. Magnanime car au-dessus du lot, Florence m’a donné une dernière chance. Le lendemain, même heure, même endroit, je devrais m’emparer du goûter de la convoitise. J’ai baissé la tête sans répondre, je n’étais pas encore grande. En rentrant, je n’ai ni goûter, ni dîner, ni rien dit de toute la soirée. Les devoirs de calcul sont restés dans mon cartable et je ne me suis pas disputée avec ma sœur. Couchée de bonne heure, comme à mon habitude, je me suis efforcée de réfléchir, mais rien de bon ne me venait. Dans ma petite tête, un coup j’étais amie avec Florence : quand même, c’était Florence ! Un coup, je repensais à Germaine, gentille, calme, apaisante et rassurante. Elle m’intéressait, m’attirait par sa différence, Germaine. Elle me collait dans le cœur comme sa confiture sur les doigts. Je m’engluais dans ces sentiments nouveaux pour moi ; une véritable amitié naissait mais je ne le savais pas encore.


Le lendemain, j’ai été insupportable avant d’aller à l’école, méchante avec ma sœur, je me suis vue punie par ma mère pour le soi- même. La journée commençait bien ! Je suis arrivée en classe avec un museau de petit rat. J’ai dit que j’étais malade et c’était vrai. J’ai évité tout le monde avec l’agilité d’un danseur étoile qui traverse la scène en trois bonds successifs pour aller se cacher derrière le rideau. J’aurais voulu être transparente, absente, dans les jupes de ma mère, ou avec la dame de la cantine à éplucher les patates ; partout sauf en classe juste devant Florence dont la présence me brûlait le dos. Alors, en plein cours, je me suis levée et j’ai fait l’imbécile en racontant des bêtises. Malgré les injonctions de la maîtresse, j’ai fait des grimaces pour faire rire mes copines, pour montrer combien j’étais drôle, intéressante et digne d’amitié. J’ai été privée de récréation, mais pas de la grande, de la petite de 10 heures. Décidément, je ne pourrais échapper à mon destin malgré mes manigances dérisoires. Alors, comme dit l’autre, quand faut-y-aller, faut-y-aller ! Et la grande récré est vite arrivée. Je me suis donc assise à côté de Germaine, comme je l’avais fait la veille, un peu tremblante, un peu écoeurée de moi-même. Elle m’a raconté sa famille, Germaine, nombreuse, unie, ses grandes soeurs qui avaient déjà des enfants, ses petits frères à qui elle racontait des histoires le soir pour les endormir. Et quand elle a déplié son mouchoir pour sortir son trésor de goûter et qu’elle me l’a tendu avant même d’y toucher, j’ai mordu à pleines dents dans les fraises cuites à cœur. Je l’ai laissée dégouliner, la confiture, sur mon menton et dans mon cou, et c’est des miettes plein la figure que je me suis retournée avec un grand sourire vers Florence pour lui faire un signe avec le pouce et lui dire combien c’était excellent. J’avais choisi mon camp, celui de Germaine, celui de l’amitié, des fous-rires, des petites chatouilles et des belles histoires. Je me suis sentie libérée, heureuse ; j’ai pris Germaine par le bras et je lui collé un gros bisou bien poisseux sur la joue. Florence ne m’a plus reparlé ; elle m’a trouvé pathétique, Florence, avec ma figure sale ; je l’ai lu dans son regard. Alors, bien sûr, je ne suis plus allée en vacance à Alicante derrière des dunes de sables inventées ; je n’ai plus bavé sur ses souliers vernis, ni sur ses cheveux ondulés de princesse. J’ai changé mes jeux de récréation, ma vision des godillots et des tabliers à gros carreaux. J’ai appris à regarder autrement, différemment, et malgré mes mauvais résultats en calcul, quand j’avais huit ans je suis devenue une bonne élève...

C’est pourquoi, monsieur le maire d’Anglet, je vous prie instamment de considérer que cette jolie école publique, avec ses fiers platanes qui en ont tant vu, doit changer de nom. Je vous suggère pour elle le noble patronyme de Moulin. Moulin comme Jean, homme courageux, sans concession et mort trop tôt pour la liberté. Ou comme Germaine, élève modèle et amie exemplaire qui, sans le savoir, m’a appris le goût de l’amitié et de la liberté de penser. Et puis, monsieur le maire, n’oublions pas que les moulins servent à faire la belle farine blanche qui constitue l’élément principal du bon pain de campagne avec des gros trous dedans pour laisser passer la confiture. Le pain que l’on partage à la grande récré de l’enfance sur des nappes improvisées en mouchoirs à carreaux.

moulin 3.jpg

Commentaires

ça me rappelle plein de souvenirs, on était du soi disant mauvais coté de la tartine, qui était, finalement, le meilleur.
ensuite, moi, j'avais soeur françoise qui me donnait le gros pain avec le chocolat pourri et ne me le donnait pas, car j'avais de l'encre sur les doigts. il n'y avait pas l'amour. en plus, elle ressemblait à louis XVI, ça n'incitait pas à l'amour.

Écrit par : txita | samedi, 20 décembre 2008

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