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mardi, 25 septembre 2007

Le rugby se joue à 30… plus un arbitre

1970. Assise sur un pouf aux pieds de mon père, je regarde mon premier match de rugby. La France rencontre l’Angleterre, je crois. Bien sur, je ne comprends pas grand-chose à ce qui se passe sur le terrain, mais je trouve les joueurs beaux et forts. Et l’attitude décontractée de mon père présage d’un bel engagement.

- « Dis papa, c’est qui le grand monsieur debout qui va rentrer dans le tas ? »

- « Il s’appelle Iraçabal, il est pilier et il joue à Bayonne. »

- « Ah, il est basque alors ? »

- « Oui, il est basque… Tais-toi maintenant, qu’on regarde le match.»

 

J’aurais bien demandé ce qu’est un pilier, mais, bon, je sens que le moment est critique. Alors j’imagine ce grand gaillard tenant le stade à bouts de bras et tous les autres joueurs lui grimpant sur le dos pour lui faire des chatouilles. Et c’est celui qui rit en premier qui perd. Mais là, le stade s’effondre et c’est très, très grave, les gens courent dans tous les sens. Mon esprit dramaturge s’égare au milieu des gravas pour retrouver le pilier assommé… mais un juron lâché par mon père me fait vite revenir à la réalité du match.

- « Papa, c’est pas beau les gros mots ! Si maman était là !… »

- « Oui, je sais, mais c’est l’arbitre aussi, il ne voit que ce qui l’arrange ! »

- « Eh ! c’est quoi un arbitre ? »

- « C’est celui qui fait respecter les règles du jeu. Il est neutre et c’est lui qui commande. »

- « Il est quoi l’arbitre, papa ? 

- « Il est gallois. »

- « Mais papa, les Anglais et les Gallois, c’est pareil ! »

- « Non, les Gallois, c’est les Gallois, et les Anglais, c’est les Rosbifs. Et tais-toi un peu que je regarde ! »

 

Suivent deux minutes de silence et d’intense réflexion enfantine. Je retente une sortie.

 

- « N’empêche que c’est pas juste, les Français ils ne comprennent pas quand l’arbitre il parle ! Pourquoi il n’est pas français, l’arbitre ? »

- « Je t’ai déjà dit qu’il devait être neutre, l’arbitre. Il n’est ni français ni anglais. »

- « Oui, je sais. Mais il pourrait être belge, l’arbitre, comme ça, les Français, ils comprendraient. »

- « Bon, ça suffit maintenant ! File dans ta chambre et révise tes tables de multiplication, surtout celle de 7. Je t’interroge à la fin du match ! »

 

Et voila, c’est toujours comme ça, pour une fois qu’il y a quelque chose d’intéressant à la télé, je me retrouve toute seule, avec ces stupides tables de 7, de 8 et de 9. Je suis sûre que les joueurs, ils s’en fichent des tables de multiplication. Et l’arbitre aussi.

Je n’ai pas vu la fin du match, mais, mon père de bonne humeur, oublia de m’interroger.

 

Le lendemain, jour de marché, toujours boudeuse, je me retrouve avec ma mère devant un étal pour acheter des poireaux (que je ne savais pas encore être l’emblème gallois), quand une grosse dame, au sourire édenté, s’approche de nous. Une discussion même pas rigolote s’engage alors entre les adultes. Moi, évidemment, je m’ennuie, quand la dondon se penche vers moi. « Tiens, elle pourrait faire pilier celle-là ! » ai-je juste le temps de penser.

« Et toi, mon petit garçon, qu’est-ce que tu veux faire quand tu seras grand ? »

 

Regard noir, tonnerre, éclairs et foudre sur la grosse dame.

 

- « Je ne suis pas un garçon, je suis une fille, et quand je serai grande, je ferai arbitre belge pour faire gagner l’équipe de France !... Et toi, tu seras même pas pilier ! »

 

Je crois que j’ai pris une baffe mais cela n’affectera en rien mon amour naissant du rugby. Tandis que les tables de multiplication…

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